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Par La lettre de Laurent Joffrin
17 avr. · 4 mn à lire
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Berger, le recours

Le chef de file de la CFDT a conquis une autorité nouvelle. Il offre ainsi à la démocratie un môle de résistance au populisme.

Il a changé de stature et, par là-même, de statut. La statue sera pour plus tard… Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, Laurent Berger a pris un ascendant incontesté sur le mouvement syndical français.
Une expression claire, musclée quand il le faut, conciliante quand il le juge nécessaire, lui a permis d’occuper le devant de la scène. C’est lui qui a défini la ligne : manifestations massives, grèves ciblées et maîtrisées, unité d’action, strict légalisme. Même après le couperet du 49-3 et malgré les violences perpétrées par les plus radicaux – surtout par les black bloc, spécialisés dans la provocation et l’aide aux gouvernements en difficulté – cette ligne a été maintenue et le mouvement est toujours dirigé, pour l’essentiel, par une intersyndicale unie autour de son leader naturel.

Derrière ce Berger, nul troupeau. Seulement des responsables syndicaux conscients de la justesse des mots d’ordre proposés par la CFDT, première organisation de salariés en France.
Du coup, ce pays de faiblesse syndicale et de poussées protestataires anarchiques se retrouve doté d’une représentation salariale responsable et forte. Il n’y a pas de social-démocratie en France, dit-on souvent. C’était vrai, en raison de la stricte séparation entre partis et syndicats. Il y en a une, désormais, que la gauche politique, plutôt que de jouer la surenchère et l’obstruction, serait bien inspirée de suivre : c’est la CFDT.

Car le raisonnement de Berger n’est pas seulement social. Il est éminemment politique. Après le mouvement des gilets jaunes, où les organisations de travailleurs ont brillé par leur absence au profit d’une révolte confuse et sans stratégie, Berger se faisait Cassandre la prophétesse. Les partis politiques responsables, disait-il, se sont affaissés devant la montée d’un double populisme agressif et dangereux. Si rien ne change, ajoutait-il, ce sera bientôt le tour des syndicats.
Le danger est écarté, en tout cas pour l’instant : même si la réforme passe in fine, le mouvement ouvrier a retrouvé dans la lutte un lustre qu’il avait perdu depuis longtemps et qui le met en position, bien plus que les boutefeus de la gauche radicale, de canaliser et d’orienter la colère populaire.

Dépités et furieux, les macroniens jouent les victimes sous les coups bien ajustés que leur inflige Berger. C’est bien montrer à quel point ils comprennent mal la société française. Dans ce pays miné par l’abstention, la montée des extrêmes et la désinvolture du pouvoir à l’égard du dialogue social, la démocratie est en péril. Au milieu de cette tempête, l’autorité nouvelle de la CFDT lui fournit une bouée de sauvetage. À tel point que certains ont parlé pour lui d’une candidature à l’Élysée. L’intéressé a sèchement décliné. Laurent Berger ne sera pas le leader que la gauche espère. En revanche, par son nouveau statut, il lui donne un exemple et un cap. 

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